Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : La fin de Satan) - Satan dans la nuit - I
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Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : La fin de Satan) - Satan dans la nuit - I - Je l'aime ! Nuit, cachot sépulcral, mort vivante, Ombre que mon sanglot ténébreux épouvante, Solitudes du mal où fuit le grand puni, Glaciers démesurés de l'hiver infini, Ô flots du noir chaos qui m'avez vu proscrire, Désespoir dont j'entends le lâche éclat de rire, Vide où s'évanouit l'être, le temps, le lieu, Gouffres profonds, enfers, abîmes ! j'aime Dieu ! Je l'aime. C'est fini. Lumière ! fiancée De tout esprit ; soleil ! feu de toute pensée ; Vie ! où donc êtes-vous ? Je vous cherche. Ô tourment ! La création vit dans l'éblouissement ; Ô regard innocent de l'aube idolâtrée, Chaleur dont la nature est toute pénétrée ! Les fleuves sont joyeux dans l'herbe ; l'horizon Resplendit ; le vent court ; des fleurs plein le gazon, Des oiseaux, des oiseaux, et des oiseaux encore ; Tout cela chante, rit, aime, inondé d'aurore ; Le tigre dit : - Et moi ? je veux ma part du ciel ! - L'aube dore le tigre et l'offre à l'Éternel. Moi seul, je reste affreux ! Hélas ! rien n'est immonde. Moi seul, je suis la honte et la tache du monde. Ma laideur, vague effroi des astres soucieux, Perce à travers ma nuit et va salir les cieux. Je ne vois rien, étant maudit ; mais dans l'espace J'entends, j'entends dans l'eau qui fuit, dans l'air qui passe, J'entends dans l'univers ce murmure : Va-t'en ! Le porc dit au fumier : - Je méprise Satan. - Je sens la nuit penser que je la déshonore. Le tourbillonnement du grand souffle sonore, Le vent du matin, libre et lâché dans le ciel, Évite mon front morne et pestilentiel. Jadis, ce jour levant, cette lueur candide, C'était moi. - Moi ! - J'étais l'archange au front splendide, La prunelle de feu de l'azur rayonnant, Dorant le ciel, la vie et l'homme ; maintenant Je suis l'astre hideux qui blanchit l'ossuaire. Je portais le flambeau, je traîne le suaire ; J'arrive avec la nuit dans ma main ; et partout Où je vais, surgissant derrière moi, debout, L'hydre immense de l'ombre ouvre ses ailes noires. Les profonds infinis croisent leurs promontoires. Tout devant moi, vers qui jadis l'amour vola, Recule et fuit. Je fus envieux. Ce fut là Mon crime. Tout fut dit, et la bouche sublime Cria : Mauvais ! Et Dieu me cracha dans l'abîme. Oh ! je l'aime ! c'est là l'horreur, c'est là le feu ! Que vais-je devenir, abîmes ? J'aime Dieu ! Je suis damné !
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