Victor Hugo, William Shakespeare, III, livre II (1864).
Extrait du document
Victor Hugo, William Shakespeare, III, livre II (1864).
Écoutez-en sortir l'annonce énorme. Inclinez-vous, et restez effaré, et soyez attendri. Dieu la première fois a dit lui-même fiat lux, la seconde fois il l'a fait dire.
Par quoi ? Par 93.
Donc, nous, hommes du dix-neuvième siècle, tenons à honneur cette injure : - Vous êtes 93.
Mais qu'on ne s'arrête pas là. Nous sommes 89 aussi bien que 93. La Révolution, toute la Révolution, voilà la source de la littérature du dix-neuvième siècle. [...]
La Révolution a forgé le clairon; le dix-neuvième siècle le sonne.
Ah ! cette affirmation nous convient, et, en vérité, nous ne reculons pas devant elle; avouons notre gloire, nous sommes des révolutionnaires. Les penseurs de ce temps, les poètes, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes, tous, tous, tous, dérivent de la Révolution française. Ils viennent d'elle, et d'elle seule. 89 a démoli la Bastille; 93 a découronné le Louvre. De 89 est sortie la Délivrance, et de 93 la Victoire. 89 et 93; les hommes du dix-neuvième siècle sortent de là. C'est là leur père et leur mère. Ne leur cherchez pas d'autre filiation, d'autre inspiration, d'autre insufflation, d'autre origine. Ils sont les démocrates de l'idée, successeurs des démocrates de l'action. Ils sont les émancipateurs. L'idée Liberté s'est penchée sur leurs berceaux. Ils ont tous sucé cette grande mamelle; ils ont tous de ce lait dans les entrailles, de cette moelle dans les os, de cette sève dans la volonté, de cette révolte dans la raison, de cette flamme dans l'intelligence. [...]
Les écrivains et les poètes du dix-neuvième siècle ont cette admirable fortune de sortir d'une genèse, d'arriver après une fin de monde, d'accompagner une réapparition de lumière, d'être les organes d'un recommencement. Ceci leur impose des devoirs inconnus à leurs devanciers, des devoirs de réformateurs intentionnels et de civilisateurs directs. Ils ne continuent rien; ils refont tout. A temps nouveaux, devoirs nouveaux. La fonction des penseurs aujourd'hui est complexe; penser ne suffit plus, il faut aimer. Penser et aimer ne suffit plus, il faut agir; penser, aimer et agir ne suffit plus, il faut souffrir. Posez la plume, et allez où vous entendrez de la mitraille. [...]
Stimuler, presser, gronder, réveiller, suggérer, inspirer, c'est cette onction, remplie de toutes parts par les écrivains, qui imprime à la littérature de ce siècle un si haut caractère de puissance et d'originalité. Rester fidèle à toutes les lois de l'art en les combinant avec la loi du progrès, tel est le problème, victorieusement résolu par tant de nobles et fiers esprits.
Liens utiles
- Victor Hugo, William Shakespeare, III, livre II (1864).
- Hugo, William Shakespeare, première partie, livre II, 12
- Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Dieu) - L'univers, c'est un livre...
- Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les feuilles d'automne) - Quand le livre où s'endort chaque soir ma pensée
- Victor HUGO (1802-1885) (Recueil : Les quatre vents de l'esprit) - Promenades dans les rochers (III)