Voltaire : Candide : Chapitre 30
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INTRODUCTION
Tout au long de Candide, dont cet extrait annonce la conclusion, Voltaire s'est attaché à réfuter l'optimisme
systématique des philosophes allemands Leibniz et Wolf.
Pour ces derniers, le monde, tel qu'il avait été créé par Dieu,
était le meilleur des mondes possibles et il allait même s'améliorant.
Candide, garçon doux et timide, pénétré des
principes de son maître Pangloss, lui-même disciple de Leibniz, a parcouru le monde et vécu mille et une aventures
infirmant les théories en lesquelles il croyait si fort au début : toutes lui ont en effet démontré l'incohérence et
l'absurdité de la condition humaine et l'omniprésence du mal ici-bas, aussi bien dans la nature que dans l'homme.
A la
fin du roman il se retrouve avec ses compagnons dans une petite métairie aux portes de Constantinople.
Alors que tout
tendait jusque-là à prouver que la thèse soutenue par Voltaire était exactement l'inverse de celle des optimistes,
autrement dit que tout esl au plus mal dans le pire des mondes, le dernier chapitre vient nuancer ce pessimisme et
proposer un remède
I.
LA THÈSE
Après avoir montré ce qu'est la vie : moins horrible finalement que les événements le laissaient croire, puisque Candide
et ses compagnons se sont tous retrouvés, mais loin d'être parfaite, puisqu'elle leur paraît maintenant monotone et
sans intérêt, Voltaire nous présente un exemple de bonheur relatif en la personne du « bon vieillard » que Candide,
Pangloss et Martin rencontrent sur le chemin de leur métairie.
Se tenant délibérément en marge des événements
politiques qui ne le regardent pas — il avoue n'avoir jamais su « le nom d'aucun mufti ni d'aucun vizir » — ce vieux Turc
mène une vie agréable en compagnie de ses enfants ; sa table est opulente et d'excellente qualité, tout chez lui est
raffiné et signe de prospérité depuis le choix des confiseries qu'il offre à ses invités jusqu'au rite qu'accomplissent ses
deux filles en parfumant leurs barbes.
Et pourtant ce vieillard ne possède que 20 arpents de terre ce qui correspond à peu près à 7 hectares.
Voltaire nous
fait ici déduire nous-mêmes d'une expérience une moralité : ce vieillard, en cultivant avec ses enfants ses 7 hectares
de terre, trouve dans l'action le moyen de résoudre, en les neutralisant, les trois grands problèmes qui, sollicitant
l'homme perpétuellement, concourent à lui rendre la vie insupportable : l'ennui, autrement dit l'inquiétude métaphysique
qui est vaine, comme la scène précédente avec le derviche l'a démontré ; le vice qui corrompt ; et le besoin qui prive
des joies matérielles non dénuées de charmes et dont Voltaire connaît les agréments.
Échappant ainsi à ces trois
maux, grâce à son travail, à cet attachement à sa besogne quotidienne, qu'il accomplit sans raisonner, à laquelle toute
sa petite communauté familiale collabore et dont elle bénéficie, le vieux Turc n'a ni le temps ni les raisons de
désespérer : pour lui, la vie qui est médiocre en soi est devenue tout à fait tolérable.
Savoir écarter les questions qui
ne nous concernent pas directement ou qui nous dépassent, travailler, sans chercher trop haut ni trop loin et en nous
contentant de nos propres possibilités — le vieux Turc ne tient pas à étendre son domaine —, coopérer enfin à une
œuvre utile à la société, voilà le moyen de trouver la sérénité.
Telle est la leçon de sagesse pratique que suggère déjà
cette scène et que Candide cristallisera plus loin sous cette formule pittoresque, percutante comme un proverbe : « Il
faut cultiver notre jardin ».
Le patriarche de Ferney lui-même en a fait sa règle de vie.
II.
L'ART DE VOLTAIRE
Voltaire met tout son art au service d'une démonstration qui, dans la mesure où elle était imprévisible, n'a que plus de
poids.
Cette scène en constitue le premier temps ; scène d'observation, elle annonce celle qui suivra et qui sera la
mise en pratique de la leçon d'expérience qu'elle contient.
L'intention philosophique n'alourdit pourtant pas le récit :
grâce à sa variété faite de fan-taisie et de pittoresque, grâce à la légèreté et au naturel du style, il est un exemple de
la perfection à laquelle Candide porte l'art du conte philosophique.
L'agencement du récit Le rythme et le ton du récit, sans cesse renouvelés, en font sans doute le plus grand charme.
Dès les premières lignes on est pris : on ne peut être insensible à l'humour de Voltaire, à cette désinvolture voulue
avec laquelle, comme s'il s'agissait d'un événement banal et sans importance, il introduit le premier élément de sa
démonstration : le malheur de l'homme sur la terre, symbolisé par une de ses causes premières, la tyrannie.
La
discordance entre la légèreté du ton, son détachement affecté que traduit l'imprécision du nombre des victimes de
second plan, et l'importance des personnages politiques et religieux mis en cause, de même que l'évocation suggestive
des tortures — « étrangler », « empaler » — ne donne que plus de piquant à l'événement.
Cet humour, nous le
retrouverons d'ailleurs plus loin non plus grinçant mais malicieux dans la plaisante dissonance qui juxtapose aux traits
précis de couleur locale une allusion satirique à l'actualité : la café que boit Candide chez son hôte était d'autant plus
excellent qu'il « n'était point mêlé avec le mauvais café de Batavia et des îles ».
Mais l'humour est déjà dans la structure même du récit, dans ce sourire avec lequel Voltaire, sans aucun respect pour
la logique, se sert du premier artifice venu pour amener la scène : la question cocasse et saugrenue de Pangloss à un
inconnu.
Ici pourtant le ton change, nous avons un premier effet de surprise : la réponse du vieillard, sa véhémence
inattendue, sa volonté arrêtée, soulignée par de puissants adverbes, de demeurer en marge des ail'aires publiques : —
«je n'ai jamais su le nom d'aucun mufti, ni d'aucun vizir...
» «j'ignore absolument l'aventure dont vous OU parlez...» «je
ne m'informe jamais de ce qu'on fait à Constantinople » — autant d'éléments qui relancent l'intérêt du récit.
L'énigme
du personnage reste entière tout au long de la réception qu'il fait à Candide et à ses amis et l'effet de « suspense »
que cultive Voltaire pour ne faire que mieux ressentir la valeur de sa thèse est encore renforcé par un nouvel élément :
la vérité pittoresque, qui, ne se bornant pas à la localisation de la scène, en élargit l'intérêt.
En effet, la longue énumération des rafraîchissements et des confiseries qui constituent la collation, la valeur
évocatrice des sonorités turques — Kaïmak —, des noms des fruits exotiques et du geste des jeunes filles parfumant la
barbe de leurs invités, tout concourt non seulement à nous dépayser mais à souligner l'opulence et le raffinement de.
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