Voltaire: Lettre à Rousseau
Extrait du document
J'ai reçu, Monsieur, votre nouveau livre contre le genre humain, je vous en remercie. Vous plairez aux hommes, à qui vous dites leurs vérités; mais vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la société humaine dont notre ignorance et notre faiblesse se promettent tant de consolations. On n'a jamais employé tant d'esprit à vouloir nous rendre bêtes. Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de soixante ans que j'en ai perdu l'habitude, je sens malheureusement qu'il m'est impossible de la reprendre, et je laisse cette allure naturelle à ceux qui en sont plus dignes que vous et moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les sauvages du Canada : premièrement, parce que les maladies dont je suis accablé me retiennent auprès du plus grand médecin de l'Europe et que je ne trouverais pas les mêmes secours chez les Missouris, secondement, parce que la guerre est portée dans ces pays-là, et que les exemples de nos nations ont rendu les sauvages presque aussi méchants que nous.
30 août 1755.
Circonstances de la lettre.
Après la publication du Discours sur les Sciences et les Arts, Voltaire avait écrit, en 1751, un dialogue intitulé Timon, où il tournait en ridicule les thèses de Rousseau hostiles aux philosophes.
En 1755, Rousseau fait paraître son second ouvrage, le Discours sur l'origine de l'inégalité, où il soutient que l'inégalité, réprouvée par la loi naturelle, a son origine dans la notion de propriété. De Paris, où il résidait depuis 1741, Rousseau adressa son discours à Voltaire, avec qui il n'était pas encore brouillé et qui s'était depuis peu installé aux Délices, non loin de Genève. Voltaire répond à cet envoi le 30 août 1755. Sa lettre se divise en deux parties : la première, plus courte, concerne le Discours sur l'origine de l'inégalité; la deuxième, plus longue, est une réfutation du Discours sur les sciences et les arts. Nous commentons seulement la première partie de la lettre.
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