Zola, Au bonheur des dames.[Denise se trouve devant le Bonheur des Dames un soir de pluie.]
Extrait du document
Zola, Au bonheur des dames.[Denise se trouve devant le Bonheur des Dames un soir de pluie.]
Mais, de l'autre côté de la chaussée, le Bonheur des Dames allumait les files profondes de ses becs de gaz. Et elle [Denise] se rapprocha, attirée de nouveau et comme réchauffée à ce foyer d'ardente lumière. La machine ronflait toujours, encore en activité, lâchant sa vapeur dans un dernier grondement, pendant que les vendeurs repliaient les étoffes et que les caissiers comptaient la recette. C'était, à travers les glaces pâlies d'une buée, un pullulement vague de clartés, tout un intérieur confus d'usine. Derrière le rideau de pluie qui tombait, cette appartition, reculée, brouillée, prenant l'apparence d'une chambre de chauffe géante, où l'on voyait passer les ombres noires des chauffeurs, sur le feu rouge des chaudières. Les vitrines se noyaient, on ne distinguait plus, en face, que la neige des dentelles, dont les verres dépolis d'une rampe de gaz avivaient le blanc; et, sur ce fond de chapelle, les confections s'enlevaient en vigueur, le grand manteau de velours, garni de renard argenté, mettait le profil cambré d'une femme sans tête, qui courait par l'averse à quelque fête, dans l'inconnu des ténèbres de Paris.
Denise, cédant à la séduction, était venue jusqu'à la porte, sans se soucier du rejaillissement des gouttes, qui la trempait. A cette heure de nuit, avec son éclat de fournaise, le Bonheur des Dames achevait de la prendre tout entière. Dans la grande ville, noire et muette sous la pluie, dans ce Paris qu'elle ignorait, il flambait comme un phare, il semblait à lui seul la lumière et la vie de la cité. Elle y rêvait son avenir, beaucoup de travail pour élever les enfants, avec d'autres choses encore, elle ne savait quoi, des choses lointaines dont le désir et la crainte la faisaient trembler. L'idée de cette femme morte dans les fondations lui revint; elle eut peur, elle crut voir saigner les clartés; puis, la blancheur des dentelles l'apaisa, une espérance lui montait au coeur, toute une certitude de joie; tandis que la poussière d'eau volante lui refroidissait les mains et calmait en elle le fièvre du voyage.
Liens utiles
- Le second Empire à travers l’œuvre d’Emile Zola « Au bonheur de Dames »
- Zola - Au bonheur des dames
- Zola, Au bonheur des dames, chapitre 14
- Zola, Au bonheur des dames, chapitre 1.
- Zola, Au bonheur des dames.